Les mythes, par leur étiologie, expliquent une réalité impalpable, comme les mystères créateurs de notre planète bleue.

Hommage à la force de l’amour qui peut s’emparer des hommes comme des dieux, ou, dans une interprétation plus métaphysique, ode à l’élément eau, aplat central et monochromatique turquoise du tableau, révérence à l’incarnation symbolique de fertilité et de purification.

La dimension extraordinaire de cette fable offre un plaisant contrepoint à la tentation de mettre aux prises différentes réalités, telle l’évocation des forces cosmiques, par la présence d’une main gauche surdimensionnée, qui donne à réfléchir sur les lendemains et la place de l’homme au sein de la nature et du règne animal…

Le mythe d’Europe est une source d’inspiration pour nombre d’artistes, une interrogation sur les origines du vieux continent. Fille des souverains de Tyr, sa sublime beauté attise la convoitise de Zeus. Un taureau ivoire apparaît mystérieusement sur le rivage, flânerie, caresses, invitation aux rapprochements, il kidnappe la princesse et fugue, pourfendant la mer jusqu’en Crète. Cette thématique de traversée « subie » par la jeune fille, avec ce qu’elle amène d’excitation face à la nouveauté, et de crainte face à l’inconnu, renvoie aux rites de passage, à cette étape de majorité, de pleine jouissance, enfin à ce changement de statut que constitue le mariage.

Deux plans se dégagent assez visiblement, séparés par les flots : dans la partie basse, Sidon, qui symbolise le monde des hommes, la terre ferme, et dans la partie haute, les « au-delà » : Europe représentée telle une divinité de l’Olympe, à l’allure de Walkyrie défiant les augures, dominant la chevauchée et agrippant avec fierté son ravisseur, d’une part, mais aussi la Crète d'autre part, avec ce recours à l’ekphrasis du taureau blanc aux cornes huilées rougies et indécentes, promesse d’un continent étranger où fleurissent une multitude de possibilités, de vies nouvelles, de changements d’importance, d’évolutions, même si celles-là traduisent des métamorphoses plus singulières.

Il faudra attendre 600 ans et les Odes du poète Horace pour que le lien entre le mythe d’Europe et le continent soit explicitement fait :

« Cesse tes sanglots, apprends à bien porter ta haute fortune. Une part du monde prendra ton nom. »
Leconte de Lisle - Odes Horace